l'art Même n°60
(belgian journal about belgian contemporary art)
Last semester 2013
Léa Mayer aime mettre à l’épreuve sa maîtrise technique par le biais d’une exploration attentive des comportements humains et des schèmes mentaux. À travers une pratique à la fois rigoureuse et intuitive du dessin, elle témoigne des rapports étroits qui s’instaurent entre texte et image. Diplômée de la Cambre il y a à peine un an, la jeune artiste française qui vit et travaille à Bruxelles remporte déjà beaucoup de succès, comme en témoigne une récente actualité qui la consacre lauréate du Prix Découverte de Rouge-Cloître.
On avait déjà pu admirer à la Médiatine au printemps dernier la suite de dessins intitulés Observation drawings (2012), qui illustre le parcours de visiteurs autour d’œuvres minimalistes, comme le célèbre Still Zinc Plain de Carl André à la Tate Modern à Londres ou encore le Modulor Cube de Sol Lewitt au Hamburger Bahnhof de Berlin. À la manière d’une sociologue, l’artiste retranscrit minutieusement la trajectoire des spectateurs, en précisant leur sexe, leur âge et leurs actions à l’aide de légendes et de codes couleurs. Ces observations conduisent toutes au même constat : le spectateur lambda manque généralement de concentration et de discipline vis-à-vis des œuvres qui lui sont présentées. À travers les quelques réflexions saisies au détour d’une salle, Léa Mayer relate également l’incompréhension des visiteurs, voire le sentiment d’infériorité ressenti devant des œuvres conceptuelles difficiles à appréhender. Derrière ces dessins d’une apparente objectivité, on sent toutefois poindre une touche d’ironie. L’œuvre « non-observée » de Marcel Broodthaers au Musée royaux des beaux-arts de Bruxelles, pour cause de fermeture prolongée de la section d’art moderne, en est le meilleur exemple. À d’autres moments, l’artiste se moque plutôt de l’institutionnalisation de certains évènements internationaux et de leur caractère élitiste. Dans le projet Door drawing présenté au centre culturel Jacques Franck, la dessinatrice reproduit les graffitis lus sur les portes des toilettes de la biennale de Venise en 2011. Sorties de leurs contextes pour être exposées dans l’espace de la galerie, ces réflexions banales sur l’art acquièrent une dimension presque philosophique. Si ces études de terrain n’ont aucune valeur scientifique, elles témoignent toutefois de la curiosité de l’artiste envers les habitudes sociales de ses congénères ainsi que d’une certaine distance critique.
Se servant d’internet comme support et sources de ses investigations, Léa Mayer interroge les forums de discussions à la recherche des données les plus diverses. Une méthode qui a fait ses preuves depuis la série Belgium (2010-2011), qui illustre avec humour et brio les stéréotypes véhiculés sur la Belgique. Avec Standby, la dessinatrice s’est intéressée aux images hypnagogiques qui hantent l’esprit quelques fractions de secondes avant de tomber dans le sommeil. Les réponses obtenues via la toile sont parfois très intimes, relatant une confiance inouïe envers leur interlocutrice anonyme. Ces récits donnent lieu à des retranscriptions plus ou moins fidèles, des images évanescentes et poétiques réalisées à l’aquarelle. Comme l’histoire de cette jeune femme asiatique qui raconte qu’elle s’endort tous les soirs lovée au creux d’un nuage lui servant à la fois de sommier et de couverture.
Le plus récent projet de Léa Mayer, The Snapshot project, montre une évolution dans sa démarche, qui acquiert un caractère plus participatif. La dessinatrice a publié une annonce sur un forum pour récolter des descriptions de photographies qui n’ont jamais été prises en raison de difficultés techniques ou autres. Pour contrer la frustration de l’échec, l’artiste se propose d’illustrer ce qu’il reste de ces clichés avortés. Par le truchement des mots, elle devient ainsi l’interprète du photographe. Après avoir réalisé un ou plusieurs croquis, elle les fait parvenir à son interlocuteur qui doit ensuite juger de la qualité de l’ouvrage. Tant et aussi longtemps que le résultat n’est pas fidèle à l’image mentale conservée, l’artiste exécute les corrections qui lui sont demandées. Pour ce faire, elle utilise plusieurs médiums, aquarelle, encre ou tempera, toujours sur papier photographique, comme si celui-ci avait le pouvoir de révéler l’image jusqu’alors inexistante. De ce point de vue, la démarche semble tout aussi intéressante que le résultat, sinon plus. En adoptant une position d’exécutante, Léa Mayer souligne toutes les subtilités qui échappent à la lecture du texte et qui se retrouvent traduites en image. Elle interprète une partition faite de souvenirs et de silences, comble les absences par des vides. Tout l’art consiste en cette infime variation de nuances de tons et de couleurs, jusqu’à ce que l’imaginaire rencontre la véracité.
Septembre Tiberghien